Avec Jean-François Mesplède (Directeur du Guide Michelin de 2005 à 2008 et Directeur du Magazine Étoile) nous allons vous présenter chaque semaine un portait de chef tiré de son ouvrage, le <<<Dictionnaire des cuisiniers>>. Cela permettra à certain d'entre vous de mieux connaître ces grands chefs qui ont fait et qui font de notre gastronomie l'une des plus belles du monde.
Pour débuter, celui qui fut l'un des maîtres incontesté de la grande cuisine française, Fernand Point.
Alain Kritchmar
C'est un rituel immuable : tous les matins sur la terrasse de la Pyramide, Fernand Point en majesté, s'installe dans un fauteuil et le coiffeur Chazal, le rase soigneusement. Puis Mado s'approche et noue amoureusement une lavallière autour du cou de son mari.
Au frais dans un mortier, le champagne est toujours à porté de main. Point admet qu'il en consomme beaucoup. <<j'aime bien une coupe le matin au lever, une coupe le soir avec de me coucher et je ne crains pas d'en boire quelques-unes entre les deux.>>
En cette année 1951, il est au sommet de sa gloire. Lorsque le Guide Michelin rend son verdict et remet les trois étoiles en circulation, la Pyramide fait tout naturellement partie des heureux récipiendaires. << C'est la perfection simple >> écrit simplement Curnonsky. Si Mado règne toujours sur la salle, Fernand a abandonné les fourneaux et c'est le fidèle Paul Mercier qui veille au grain. Il applique à la lettre les principes du Chef avec une cuisine, au beurre bien sûr, révolutionnaire en cette époque de classique lourdeurs. Ici, le produit doit apporter à table sa saveur originelle et les sauces, parfaitement exécutées, ne dissimulent rien et restent un simple élément de l'ensemble. Fernand Point est heureux. Il ne regrette surtout pas d'avoir, encore adolescent, su convaincre son père de lui laisser suivre la voie professionnelle dont il rêvait. Il n'a pas oublié ce jour de printemps 1914 où il a quitté la Bresse et s'est fait embaucher au Bristol à Paris, avant que le conflit mondial n'arrête sa progression. Après la guerre, il a repris la route : Hôtel Impérial à Menton, Hôtel Majestic de l'avenue Kléber à Paris, Royal Hôtel à Evian, dans la même brigade qu'un certain Georges Bocuse ( père de Paul ), saucier enfin chez Foyot, le célèbre restaurateur de la rue de Tournon à Paris. A vingt-cinq ans, Fernand Point est un cuisinier et un pâtissier accompli. Il rentre chez lui où son père vient tout juste de claquer la porte du Buffet de la Gare de Louhans qu'il exploitait jusqu'alors. Il prend la route de Lyon où il apprend qu'à Vienne, un peu plus au sud, Léon Guieu, un traiteur local, vend son restaurant : le 10 septembre 1923, il rachète l'affaire et la famille Point s'installe dans l'Isère. En 1926, lorsque Bibendum distribue ses premières étoiles de bonne table, La Pyramide en reçoit deux. Avec ses parents, Marie-Louise Paulin fait partie des habitués. Fernand a remarqué cette jolie jeune femme brune qui l'intimide. Comme il n'ose pas lui adresser la parole, c'est elle qui fera le premier pas. Il trouvera ce jour là, la femme de sa vie !
Lorsqu'il se marient en 1930, la jeune femme abandonne son métier de coiffeuse pour remplacer sa belle-mère dans le restaurant. Mado prend son nouveau rôle très à coeur. Elle s'occupe de l'accueil, des commandes, des vins même et intègre des éléments masculins dans un service jusqu'alors exclusivement féminin.
Si Fernand manque d'ambition, elle en a pour deux. Avec un tel mentor, il peut donner la pleine mesure de son talent. Son style s'affirme. << Tous les matins, on doit recommencer à zéro sans rien sur les fourneaux >> ne cesse de répéter à ses apprentis cet adepte avant l'heure de la cuisine du marché. En 1933, Michelin offre trois étoiles à La Pyramide.
Les spécialités ? Foie gras en brioche, gratin de queues d' écrevisses, plat élevé au rang de chef d'oeuvre, truite au bleu, poularde Pyramide et la Marjolaine, un remarquable dessert à base de crème blanche, crème au chocolat, amandes et noisettes.
<<C'est une des meilleures maisons du monde. Il est des gens qui ont traversé toute la terre pour venir déguster un plat chez Point. C'est le sommet de l'art culinaire>> s'enflamme Curnonsky.
Quand la guerre éclate, la prophétie de Mado Point s'est réalisée : La Pyramide est devenu le restaurant le plus prestigieux et son mari le chef le plus célèbre du monde. Fernand n'ignore rien de l'apport de son épouse. << Sans son tact et son intelligence, je n'aurais pu me faire dans mon métier quelque réputation. Un bon gouvernement consiste toujours dans la séparation des pouvoirs et dans la décentralisation>> admet-il.
1945. << La nuit est finie. Voici l'aube car je vois déjà le Point du jour>> écrit l'ambassadeur Duff Cooper sur le Livre d'Or. Le Maréchal de Lattre-de-Tassigny remet la croix de la Légion d'Honneur aux deux époux.
L'activité reprend et les étoiles reviennent. Pour les jeunes chefs, le restaurant de Vienne devient le passage obligé. Futurs trois étoiles, Paul Bocuse, Jean et Pierre Troisgros, Louis Outhier, Alain Chapel, François Bise et Claude Peyrot sont passés par Vienne.
Au fil des ans, tout n'est pas simple à La Pyramide. Fatigué, Fernand Point connaît des problèmes de santé. Il vient pourtant régulièrement en salle où il assure un spectacle soigneusement préparé. En août 1954, la maladie le terrasse une première fois. Il se rétablit, mais la rémission est de courte durée et il le sait. <<Soigné comme je l'ai été, je mourrais certainement guéri>> dit-il à ceux qui s'inquiètent. Ce seront ses dernières paroles.
Dans son édition du samedi 5 et dimanche 6 mars, Le Progrès de Lyon annonce que Fernand Point, le restaurateur de Vienne est mort. << A 19h30, terrassé par la longue maladie qui depuis bientôt quatre ans avant ralenti sa prodigieuse activité>> précise le journaliste. <<Il est mort d'avoir trop bien vécu>> dira plus tard Paul Bocuse.
Texte de Jean-François Mesplède
Images d'archives familiale Point
Jean François Mesplède
Fernand et Mado
Fernand Point et sa brigade
notre maître à tous !
RépondreSupprimerGuy
J'ai beaucoup d'admiration pour ce grand cuisinier que je considère comme précurseur de la cuisine moderne
RépondreSupprimerAnne S.
Grand Monsieur que Fernand Point, j'ai eu le privilège de le rencontrer quand j'étais tout jeune ; j'en ai gardé un souvenir inoubliable
RépondreSupprimerAlain
J'ai l'ouvrage de JF Mesplede chez moi je trouve que votre idée est formidable pour ceux qui souhaitent connaître les cuisinisers qui nous régalent Pascale
RépondreSupprimerma grand-mere aussi vers 1930 en a gardé un souvenir,la petite fille s'appelait Monique...
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